L’ultra luxe : un appétit qui ne tarit pas

L’ultra luxe : un appétit qui ne tarit pas

Alors qu’à Genève, le marché résidentiel est à la baisse, la niche immobilière de l’hyper luxe ne connaît pas de trêve après deux années exceptionnelles. Dans cet engouement, l’influence des traders n’est pas moindre.

 

Un total de 284 millions de francs : tel est le montant des transactions genevoises de demeures privées supérieures à 20 millions de francs, réalisées au 1er octobre 2023.  Sur ce segment du prestige ultime qui ne représente que 3% de marché, seul environ un tiers, en nombre comme en volume, est réalisé par les négociants en matières premières, tous actifs dans la cité du bout du lac, place mondiale dans le domaine. « Cette nouvelle caste d’acheteurs ultra-riches a pourtant échauffé cette niche de manière significative », relèvent les courtiers spécialisés dans l’immobilier de luxe. « Dès 2021, les traders qui ont engrangé de superprofits ont été un accélérateur de grosses transactions, observe Sandro Fanara, associé chez John Taylor, Luxury Real Estate.  Les plus craintifs, ainsi que ceux qui voulaient éviter d’être l’exception mise sous les radars, leur ont emboîté le pas. »  A l’heure de l’enfermement lié à la crise du Covid, tous les paramètres étaient réunis pour exacerber les désirs d’espaces exceptionnels idéalement situés. « Trentenaires ou quadras dynamiques, les traders ont contribué à rajeunir ce marché, note Bardiya Louie, CEO de Rockwell Properties. Ils ont aussi introduit d’autres façons de consommer, ajoutant au off-market les outils de communication high-tech. »

 

Issus de divers secteurs d’activité, banque, pharma, multinationales, industries manufacturières, horlogerie ou autres tenants de l’univers du luxe, les acquéreurs suisses et étrangers côtoient désormais les traders dans les transactions pharaoniques affichées par le registre foncier. Exemples parmi d’autres : après les 56,8 millions déboursés par le banquier Jacob Safra pour une propriété à Cologny, « colline des milliardaires », ou les 52 millions de Thierry Stern, président de Patek Philippe pour un bien à Conches, le vent de folie sur les biens d’exception s’est poursuivi en 2022. Une année marquée par huit transactions supérieures à 30 millions de francs, dont deux dépassant les 50 millions. De Michael Wainwright , No 2 chez Trafigura, géant genevois du négoce pétrolier, à Gabriel Bahadourian (agroalimentaire) ou Jean-Pierre Guichard (groupe de distribution Casino), en passant, en 2023, par la famille Aponte, propriétaire du géant MSC ou par le Domaine Beau-Pré à Genthod racheté en novembre par la Famille Dominicé, la diversité des profils d’acheteurs fait décidément la règle sur le segment de l’ultra luxe. Et ni les performances boursières chahutées ni la volatilité des taux d’intérêts auxquels les plus fortunés - qui recourent aux lignes bancaires de nantissement - sont insensibles, ne pèsent sur leur volonté d’investir dans l’habitat.

 

Doper d’abord le rêve

 

Le jeu entre la nette augmentation de la demande et un marché restreint a provoqué une flambée des prix jusqu’à 20% entre 2020 et 2021. Tout en relevant la stabilisation qui s’est installée sur ce marché fort depuis début 2022, les spécialistes réfutent catégoriquement un quelconque phénomène spéculatif entraîné par les négociants en matières premières. « Avec une imposition de 50% sur la revente durant deux ans, les règles fiscales sont restrictives. Genève n’est pas Dubaï ! Comme l’ensemble des richissimes acquéreurs, les traders achètent pour s’installer à moyen ou long terme », note Bardiya Louie. « Il y a vingt ans, l’acquisition d’un bien était lié à un projet de vie à long terme, observe Maxime Dubus, directeur de SPG One – Christie’s International Real Estate. Sans parler aujourd’hui de spéculation, les traders ne s’installent pas pour revendre, mais considèrent toutefois l’achat comme un actif, leur esprit spéculatif étant évidemment lié à leur métier. »  Corinne Dubois, économiste senior chez Wüest Partner, lui fait écho en relevant « la part de rationalité dans l’achat coup de cœur, les acquisitions devant nécessairement aussi faire sens financièrement ».

 

L’hyper luxe, havre de stabilité

 

L’attractivité de l’hyper luxe genevois reste forte dans un contexte international caractérisé par une multiplication de crises. Fondé sur les solides assises politiques et économiques du canton, à laquelle s’ajoute une fiscalité favorable aux entreprises, l’engouement devrait assurer un marché 2024 aussi soutenu qu’en 2023, tant par le nombre de transactions que par le volume », prévoient les spécialistes. « Ce segment immobilier est un havre de stabilité », résume Maxime Dubus. L’offre reste restreinte, les biens surévalués continuent de stagner sur le marché et la rareté des parcelles disponibles dynamise fortement les opérations de transformations-rénovations, tandis que la construction neuve est quasi inexistante.

 

Quant aux négoces de matières première, dopés par les turbulences militaires et politiques, ils sont bien partis pour voir leurs dividendes mirobolants continuer de monter. Avec un profit semestriel net de 5,5 milliards de dollars, Trafigura se dirige vers une quatrième année record, en dépassant sa performance de l’an dernier, de 7 milliards de dollars. Soit, 1,7milliard de dividendes distribués à ses actionnaires, tous employés du groupe. Vitol, Mercuria ou Gunvor, principaux concurrents tous établis à Genève, devraient continuer de jouir de la même tendance favorable.

 

Autant de perspectives qui se répercutent aussi sur l’immobilier alpin. « De manière marquée, les traders qui sont déjà installés à Genève poursuivent leurs investissements en s’orientant vers les résidences secondaires dans les stations de ski, tant dans Alpes suisses que françaises », relève Maxime Dubus.

 

Crédit : Bilan 300 plus riches

Rédacteur : Viviane Scaramiglia - Novembre 2023

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